vendredi 28 septembre 2012

Ce que le jour doit à la nuit : tout. Ce que le cinéma doit à Arcady: rien

Monologue



Alors voilà. J’avais décidé de ne pas aimer le dernier film d’Alexandre Arcady. Du coup, je me suis mangé la brique de Yasmina Khadra avant de me farcir l’adaptation qu’en a faite Mister remake. Et bien, ça n’a pas raté. Je n’ai pas aimé. Enfin si. Enfin non. Enfin voilà quoi. Une chose est sûre, ce n’était pas l’idée du siècle de s’avaler le pavé made in Algérie française quelques jours avant de visionner le film. Trop fraîche encore, la prose généreuse du George Sand algérien pour laisser la place aux gros sabots du pied noir français. Trop vive, l’histoire haletante d’un amour impossible de septante ans pour admettre qu’on la concise, spectacularise, rabougrise pour les besoins de la cause, c’est-à-dire de la prod’. Alors, bien sûr, Arcady le répète à qui veut l’entendre (pas moi), c’était pas évident de faire entrer quatre cents pages dans deux heures et demie. Mais j’ai envie de dire : FALLAIT Y PENSER AVANT.



Le problème, c’est qu’Alexandre il n’y avait pas vraiment pensé. En visite sur un tournage au Maroc en 2008, le réalisateur entend parler de (non, rendons lui justice, il lit un article sur) le dernier chef d’œuvre de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit. Comme les précédents bouquins de Khadra, le roman est un succès, traduit dans une trentaine de langues, écoulé à des centaines de milliers d’exemplaires. Parce que, comme ses précédents bouquins, ça parle d’amour et de dialogue de sourds entre cultures différentes. Mais cette fois, Khadra s’attaque à ce qu’il connaît le mieux : le drame franco-algérien, l'histoire d'amour impossible entre la France et l'Algérie. Et fatalement, l’Algérie française, c’est le grand dada de l’autre pied noir. Donc, ni une, ni deux, il se dit que ça serait chouette de l’adapter pour le cinéma. Donc, il se met à la lecture et allez comprendre pourquoi il décide que ça ferait un chouette film, voire une chouette série télévisée. Et bien non. Ou alors juste pour le coup du feuilleton télé le dimanche soir sur TF1. En trois ou quatre épisodes, couvrant trois ou quatre heures au total, le téléfilm peut s’offrir plus de temps, plus de respiration.

Parce que de la respiration, il en manque, le film d’Arcady. Ca démarre sur les chapeaux de roues, ça fait beaucoup de bruit tout de suite, ça dérape au virage, ça fume.



Tout commence par l’incendie du champ du père de Younès par le caïd de son bled. Des mois de travail anéantis. Une vie qui s’écroule. Un homme au courage herculéen, à la foi butée, vacille, erre parmi les cendres de sa survie, mais ne tombe pas. Plus pauvre qu’un grec, il doit bien vendre sa terre brûlée au caïd et tenter sa chance en ville. Il y traîne donc sa famille à pattes, puisqu’ils ne sont déjà plus que des animaux. La banlieue d’Oran où ils échouent le leur apprendra bien. Là, dans une pièce misérable infestant la peste et l’urine, se recroquevillent la mère et les enfants Younès et Zahra, en attendant que le père revienne le soir, harassé d’avoir bossé comme un âne pour même pas avoir de quoi nourrir sa famille. Mais il persévère, Issa, convaincu qu’Allah finira bien par récompenser ses efforts. Mais Allah veut pas. Et la misère le contraint à placer son fils de dix ans chez son frère pharmacien pour lui laisser au moins une chance dans la vie, vu qu’il ne peut plus la lui assurer lui-même. Après l’abandon des terres familiales, l’abandon du fils, incommensurable échec pour cet homme trop fier, qui ne s’en remettra d’ailleurs jamais. Fin du volet Younès. Début de Jonas. Rebaptisé plus proprement, Younès goûte enfin à la lumière du jour, gâté par son oncle Mohammed et sa femme Germaine. Il va à l’école, se fait des amis, culbute une couguar, poursuit des études de pharmacie, oublie sa petite famille, fréquente la bonne société, comprenez la société française. Et puis, bien sûr, il tombe amoureux. Emilie, qu’elle s’appelle. Bien sûr, c’est la plus belle. Et là c’est le drame. Emilie l’aime aussi. Débute une loooooooooooooongue histoire d’amour possible mais impossible. Pour des raisons obscures et idiotes (ouais, bon la couguar s’avère être la mère d’Emilie, mais encore ?), Jonas refuse de s’autoriser ce bonheur et va prendre un malin déplaisir à repousser les avances de son aimée, laquelle, courtisée à tout va, se lassera de cette inaction atavique dans les bras de ses copains. Jonas ne parvient pour autant pas à l’oublier et l’autre allumeuse ne se gêne pas pour lui faire comprendre qu’il lui plaît toujours. Mais rien à faire. Jonas bouge pas. Il souffre mais il bouge pas. Pareil pour la guerre d’Algérie qui se déroule en parallèle de l’histoire d’égéries. En tant qu’Algérien, Jonas devrait se bouger le cul pour que toutes les oppressions dont il a été témoin soient enfin balayées et que son peuple reprenne ses droits. Mais rien. Il y est sensible mais il ne fait rien, cristallisant là aussi le mépris des vrais acteurs de leur vie, les combattants de l’Algérie libre. De même, Emilie finit par mépriser ce garçon beau comme un dieu qui n’est pas capable de dompter son destin. Jonas en tant qu’allégorie de l’inertie. C’est cela que raconte le livre. C’est l’histoire d’une moule qui s’effrite. (Garbo laughs)

Yasmina Khadra, ou l'officier algérien qui prit un nom de pilule contraceptive pour échapper à la censure

C’est l’histoire qu’aurait dû montrer le film d’Alexandre Arcady. Mais nenni. A la place des belles images sorties d’un clip de l’Office du tourisme algérien, une lumière magnifique, des paysages à se damner, des acteurs beaux, de la violence aseptisée, de la pauvreté de supermarché et des larmes à gogo. Bienvenue à Pariwood. Démonstration de gros moyens au service d’un récit sentimentalo-historique rendu ridicule par la grandiloquence convoquée. Voilà ce que j’ai vu. Alors, oui, Yasmina Khadra pèche aussi par grandiloquence à certaines entournures de phrases. Comme beaucoup d’écrivains, il se regarde écrire. Mieux, il s’écoute écrire. Mais ce qui sauve du ridicule l’ancien officier algérien, c’est justement la subtilité du propos et la manière d’amener les choses, de les faire comprendre, de les suggérer, bref la finesse. Or, visiblement, le réalisateur du Grand Pardon en est dépourvu. Chez lui, c’est que du lourd.

A commencer par le casting : Fellag, Anne Consigny, Vincent Perez, Anne Parillaud, et les deux tourtereaux, Nora Arnezeder (future Angélique Marquise des Anges) et bien sûr le sublimissime Fu’ad Aït Aattou, l’atout principal du film pour les âmes mateuses. Le mannequin franco-berbère avait enflammé la croisette cannoise en 2007 grâce à Catherine Breillat qui lui avait offert l’affiche de son film Une Vieille Maîtresse avec Asia Argento. 

Fu'ad Aït Aattou, en dandy Ryno de Marigny chez Breillat
Déjà, le mec qui tombe toutes les nanas

Entre les deux adaptations en costumes, Fu'ad, il a fait du mannequinat, et surtout il a fait ÇA :


Alors, oui, c’est vrai, Khadra répète à l’envi que son héros est beau, donc pas le choix, fallait prendre un beau gosse. Et dans le genre beau gosse du Maghreb, on fait pas mieux que Fu’ad, et sa gueule d’ « ange brun ». Seule réserve, les tablettes de chocolat. On va pas dire que ça nous a dérangé mais quand même il a fallu réprimer un petit sourire quand il sort de la mer façon Daniel Craig. Allez savoir pourquoi, à ce moment-là, on n’y croit plus trop à l’Algérie des années ‘50. Et que dire du jeune acteur censé incarner Younès à dix ans… on n’y croit plus du tout. Là où l’écrivain décrivait un « garçonnet malingre et solitaire, à peine éclos et déjà fané, portant mes dix ans comme autant de fardeaux. », j’ai vu un gamin pétant la forme, qu’il a plutôt ronde, et qui aime manifestement trop les loukoums. Dommage, surtout que l’effort de casting était très juste pour le reste de la bande de copains. On sent la cohérence dans le choix des acteurs campant Fabrice, Jean-Christophe et Simon jeunes et vieux.

La bande de copains, à dix ans et à vingt ans, une des réussites du film
Le garçonnet malingre et solitaire, version Arcady

Si j’ai souri quand Jonas sort de l’eau, je vous dis pas le fou rire quand le fils de Simon, Michel, apparaît à la fin du film, au moment où Jonas le rejoint du bout de ses septante ans pour l’enterrement d’Emilie. Tenez-vous bien, ......c’est le même acteur o_O ! Donc, Michel, le fils de Simon et Emilie accueille Jonas bras grands ouverts et lui sort "Oui, je sais, il paraît que je suis le portrait craché de mon père.", ou quelque chose de ce mauvais goût. Inutile de dire que cela ne figure pas dans le bouquin. Enfin, à part que Jonas croit "voir un revenant". J'imagine Arcady lisant ça et s'écriant mais bon dieu c'est bien sûr, il nous faut le même acteur !!  Y a des choses, comme ça, que je comprends pas. Vu les têtes de gondoles dont bénéficie le film, on me fera pas croire qu’il n’y avait pas de budget pour engager un autre acteur. Vu le travail de casting formidable pour trouver les gosses ressemblants aux personnages adultes, on ne me fera pas croire qu'il était impossible de trouver un autre acteur "trapu et bedonnant, court sur ses jambes retorses, le front dégarni".

Simon, le père
Michel, le fils
Michel Simon, le plus bel acteur français de tous les temps (je me comprends)


Le revoilà, le ridicule de l’Arcadie. Plein pot. Il virevolte autour de Simon/Michel et explose dans le cimetière, où décidément le réalisateur a décidé de ne rien nous épargner et de commettre l’irréparable. Dans le livre, Jonas se recueille sur la tombe d’Emilie, toujours autant tracassé par les souvenirs. Puis il s’en va rejoindre ses vieux poteaux pour parler du bon vieux temps colonial. Dans le film, Jonas se recueille, essoufflé par son grand âge, sur la tombe d’Emilie. Et je vous le donne en mille. Qu’est-ce qu’Arcady lui fait dire ? Hein ?!? Qu’est-ce qu’il se croit obligé de nous expliquer, des fois qu’on aurait rien capté à l’histoire ? JE T’AIME EMILIE. Ben oui, voilà. On y va à la grosse louche, on étale les sentiments à la surface, on fait dans la romance bon marché. Mais surtout, on explique. Encore et toujours. Surtout pas d’implicite, ça risquerait de paumer le spectateur. C’est sûrement dans cette noble intention qu’Arcady s’est aussi fendu d’une référence littéraire pour mieux dépeindre le personnage de Jonas. Notre zéro se pointe à la librairie où travaille Emilie, dans l’énième espoir de parvenir à lui expliquer son nœud de sentiments, comme nous l’explique la voix off maladroite. Devant l’échec de la mission, Emilie l’envoie bouler avec un livre, Le Cheval blanc, d’Elsa Triolet en lui disant droit dans les yeux : « C’est l’histoire d’un homme dont tout le monde tombe amoureux mais qui est incapable d'aimer ». Vous avez saisi le message ? Tellement important, d’ailleurs, qu’il se retrouve dans la bande-annonce, preuve que pour l’ami Alexandre c’est une des trouvailles géniales du film. Pourtant...

Pourtant, tant qu’à faire dans la référence littéraire, pourquoi ne pas rappeler La Question d’Henri Alleg ? La torture pendant la guerre d’Algérie, c’est tout chaud aussi! En plus, c’est vaguement évoqué dans deux épisodes de l’œuvre de Khadra. Bien sûr, rien n’est dit pour l’oncle, on sait juste qu’après avoir passé une nuit en prison il est relâché. C’est un Mohammed en miettes qui revient à la maison, n’ayant pas supporté l’interrogatoire et ayant sans doute dénoncé ses petits copains militants du FLN. Plus tard, c’est Jonas qui fricote contre son gré avec l’OAS et se fait coffrer par la police, taper dessus, puis relâcher. Rien de tout cela dans le film. Cette violence-là n’existe pas.

On me dira qu’il a le droit et que c’est justement le jeu de l’adaptation. Vrai. Il est louable que le réalisateur n’ait pas décidé de coller bêtement à l’histoire de l’écrivain et ait tenté de s’en détacher, d'y insuffler ses propres idées. Mais les changements opérés sont pour la plupart discutables. Ils se tiennent, en soi, et le spectateur qui n’a pas lu Khadra passera peut-être un bon moment. Cependant, à comparer, les modifications n’apportent rien. Pourquoi faire autrement quand on ne sait pas faire mieux ? Une adaptation pareille n’a que peu d’intérêt, si ce n’est épargner une dizaine d’heures aux lecteurs récalcitrants en leur servant une soupe épaisse moins digeste finalement que l’harira initiale.

Ce genre d’adaptation ne m’intéresse pas. Je lui préfère mille fois l'auteur qui ose apposer sa propre marque, faire quelque chose de fondamentalement différent ; conserve l’esprit originel de l’œuvre mais en propose une autre traduction. André Delvaux, par exemple, a basé l’essentiel de sa filmographie sur l’adaptation de livres. Mais chacun de ces films porte sa griffe. Rendez-vous à Bray, c’est Le Roi Cophetua de Julien Gracq auquel le réalisateur belge a donné une seconde vie sur pellicule. Gracq lui-même reconnaîtra que «nous avons affaire à un cinéma d’auteur, inspiré d’une littérature d’auteur ». Je ne crois pas que Yasmina Khadra puisse en dire autant à Alexandre Arcady. Ce qu’Arcady doit à Khadra : des fleurs. Ce que Khadra doit à Arcady : des claques.

Quoique. L'écrivain au caractère bien trempé lui a tout de même laissé mener sa barque jusqu'au bide. Alors qu'il n'a pas hésité à retirer ses droits à l'adaptation de son autre gros succès, L'Attentat, par Hollywood. Estimant que le scénariste (du Roi d'Ecosse notamment) ne respectait pas son oeuvre, il a refilé le bébé à un réalisateur libanais. Le film sortira début 2013. Inutile de vous dire que la chose risque d'être autrement plus bandante que ce film-ci, surtout maintenant qu'elle a échappé à la main mise hollywoodienne... Rendez-vous après, comme dirait l'autre.

Marie I

1 commentaire:

  1. Je ne suis pas d'accord sur le fait qu'il n'est pas normal qu'ils aient pris le même acteur pour Simon et son fils, je m'y attendais totalement vu que dans le livre, il décrit Michel comme son père, il sous entend qu'ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau... Bref ça n'est pas un drame quoi.

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