Dialogue
Ou comment ça tchatte grave entre Bruxelles et Nancy.
Marie II : Faudrait peut-être qu'on parle d'A perdre la raison ...
Marie I :
FAUDRAIT OUAIS !
Marie II : Je me fais un café,
j'arrive…
Marie I :
Fais donc.
Marie II : Voilà. Alors ce film ?
Marie I :
MAIS OUAIS, ce film ! Par quoi on commence ? Faudrait peut-être un pitch, nan ? Je
veux bien m'y coller. T’auras qu’à rugir dessus
Marie II : J'attends tes
mots pour rugir.
Marie I : Donne-moi quelques minutes.
Marie II : Tout le temps
nécessaire pour ton cerveau lent.
Marie I : […]
Marie II : Heureusement que je bois un
café, ça m'évite de m'endormir ...
Marie I : […]
Marie II : Continue à être aussi lente
et je t'envoie une photo de mon chien.
Marie I :
Mange ton chien et arrête de me stresser.
Marie
I : Voilà voilà, c’est dans la poche. Le pitch est dans la poche... Mais ris, bon sang!
Marie
I : ATTENTION PITCH : Murielle
et Mounir sont jeunes et ils s'aiment. Et ils aiment le Docteur
Pinget, père adoptif de Mounir parce qu'il est riche et
philanthrope. Il leur offre la tranquillité matérielle en échange
insidieux de sa présence pesante dans tous les recoins de leur vie bientôt plus rose. Alors, forcément, ça pèse à la Murielle
qui commence à se sentir coincée dans ce manège à trois, vu que
super beau-papa s'installe avec eux. La ponte passive de quatre
moutards ne va rien arranger à l'affaire. Bardaf, c'est la
dépression. Et qui dit dépression, dit enfer. Et qui dit enfer, dit
enfants...
Marie II : Tout ça
pour ça …
Marie II : Plus
simplement : Murielle se marie à Mounir et va
s'installer dans la maison incestueuse d'un médecin bedonnant. Elle
fait quatre gosses qu'elle n'assume pas et finit par les tuer.
Marie II : Alors, ton avis sur le film ?
Marie
I : Dans ce drame inspiré du cas Lhermitte - où comment une mère
en vient à tuer ses cinq enfants, sans parvenir à se tuer elle-même
(cherchez l'erreur) - Joachim Lafosse nous donne à voir et à penser
la descente aux enfers d'un être fascinant. Comme d'habitude,
Lafosse ne juge pas. Il laisse le spectateur se faire son opinion,
chercher les causes d'un acte incompréhensible, sans jamais vraiment
les donner. Des indices, il en sème, certes, mais jamais il ne
donne la clé. Dans sa fiction, et il faut insister sur le ce mot :
FICTION, le Docteur est sans doute plus coupable que d'autres, le
mari plus sinistre que d'autres, la mère plus abattue que d'autres.
Mais au final, pas de mise au pilori. Le sujet est grave et complexe.
Le réalisateur/scénariste s'en tire avec brio et sobriété. Les
acteurs sont épatants, Emilie Dequenne en tête (on l'a assez dit),
mais Niels Arestrup et Tahar Rahim ne sont pas en reste (on ne l'a
pas assez dit). La mise en scène est efficace. Pas de plan de trop.
A part peut-être le ridicule épisode du "Fêêêêêêêmmes,
je vous aime" dans la voiture ....
Marie II : Je ne suis bien
évidemment pas d'accord. A part concernant la scène de Julien Clerc… Elle
pue, ça c’est sûr.
Marie
I : Je pige pas l'intérêt de cette scène. Elle doit avoir une
signification pourtant ... Je vais réécouter la chanson, ça va
peut-être éclairer ma pauvre lanterne. Ah merde, j'ai trouvé une version avec Calo et Stanislas... Attention, ça va faire mal.
Marie II : Je pense que c'est supposé être LA scène du film. Celle qui va se différencier des autres puisque justement le reste du film est plat et sans jugement. Vu les paroles, je prends ça pour une défense de Lhermitte, du moins une tentative d'explication. Les femmes sont complexes, sensibles, etc.
Marie
I : Pitié, je vais vomir.
Marie
I : Remarque, c'est vrai que dans une interview sur
Cinefemmes.be il avait dit que la féminité c'était un sujet qui le
fascinait.
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- L'homme qui a commis ce
film a une tête de constipé,
un parallèle avec sa
mise en scène.(Marie II)
- Moi, je le trouve mignon. (Marie I) |
Marie II : Ou peut-être que cette scène
ne sert à rien, juste à faire chialer la masse et à faire dire aux
spectateurs : « oh mon dieu ! qu'elle joue bieeeen ! »
Marie I :
Ben, c’est vrai qu’elle joue bien (même si pour moi pas particulièrement en chialeuse automobile). Putain de performance générale quand même.
Jojo dit qu’il a été moins dirigiste avec ses acteurs sur ce
tournage que sur les précédents, et que c’est la première fois
qu’il avait vraiment l’impression d’être spectateur de ses
acteurs... En tout cas, la Dequenne, elle a bien mérité
son Prix de Meilleure Actrice à Cannes.
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L'effet Julien Clerc sur les fans au Millésium d'Epernay... |
Marie II : Justement, je pense
vraiment que c'est une scène très mauvaise, une scène à Césars,
comme la scène de la chanteuse blonde dans Shame, mais je ne sais
pas si tu l'as vu.
Marie I :
Non, pas encore.
Marie II : Ce film est pourri.
Marie I : Ça me donne envie de le voir, tout à coup.
Marie II : PUTE !
Marie II : Plus sérieusement, tu
comprendras quand tu verras le film. Au beau milieu, une blondasse
chante une chanson "émouvante", gros plan sur sa gueule
pendant trois minutes, ça n'a rien à faire là, mais forcément
quand t'es un peu con, tu penses : "oh c'est beau, c'est la
scène que je retiendrai" Même principe pour Dequenne, il me semble.
Marie I :
Pour en revenir à la scène, j’ai entendu Jojo en parler dans une
interview sur La Première.
Il disait que c’était le moment crucial du film où on comprend la
souffrance et le basculement fatal dans la déraison. Il a fallu six
prises à l’Emilie pour parvenir à la tourner, tellement c’était
fort. Respect. Pleurer sur Julien Clerc, j’aurais pas pu.
Marie II : « Quelquefois si seules. Parfois elles le veulent. Oui mais ... si seules. Oui mais si seules...». Il a l'air de s'éclater Julien. En
tout cas, ceci explique cela…
Marie
I : Tout ce que j'en retire c'est que Julien Clerc ne connaît pas
de femmes faciles. (=> « Femmes...Je
vous aime… Je
n'en connais pas de faciiiiiiiiiiiiiiiiiles. Je
n'en connais que de fragiiiiiiiiiiiiiiles. Et
difficiiiiiiiiiiles. Oui...difficiiiiiiiiiiiiles »)
Marie II : Voilà,
j'ai pensé la même chose.
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Sur cette affiche,
Emilie Dequenne sourit, profitez-en.
|
Marie I : A la réflexion, j’aurais pu pleurer. Mais pas pour les
même raisons…
Marie II : Visiblement, le
texte a une portée maternelle : «Or, le texte porte sur le
respect pour
les femmes et non sur
la séduction», indique Jean-Loup Dabadie. Soucieux de rendre
hommage à tous les profils, droit dans les yeux, il se plonge dans
l'écriture de la chanson. Peaufine son texte. Évoque la très forte
image de la mère. Cette chanson avait donc un intérêt …
Marie
I : Hmmm, surtout qu’à ce moment, Muriellele a perdu toute
son autonomie. Elle n’existe plus qu’en tant que mère.
Marie
I : Ça vient d'où ?
Marie II : Du site du Figaro, il me semble.
Marie
I : On t'a pas appris à citer tes sources à l'unif ?
Marie II : On ne m'a rien
appris à l'unif.
Marie I : C'est bien ce que je pensais.
Marie II : Fin de
l’intermède musical et retour à nos moutons donc à Lafosse …
Ok, il ne juge pas, et dans le fond j'approuve le principe, mais du
coup c'est supra chiant, je persiste. Si au moins la mise en scène
claquait … mais non ! Il crée une ambiance lourde - on
comprend vu le sujet - mais du coup c'est lourd pour le spectateur,
tout est lourd, et il me semble que c'est pas ça le cinéma. Comme
s'il avait eu peur qu'on lui reproche de prendre parti, de victimiser
la mère ou de pas suffisamment incriminer le docteur ou le mari.
Marie II : Du coup
tout est traité en surface.
Marie I : Mais y a pas à incriminer le Doc ! Je pense que ce
qui intéresse Lafosse dans ce fait divers, c’est le terreau
possible pour faire pousser ses thèmes de prédilection, à savoir
les relations familiales, le respect des limites d’autrui, la
manipulation, la perversion. Je l’ai entendu dire à la radio qu’il
voulait simplement faire un film avec un gros gros package émotionnel
mais avec de la réflexion. Et le côté pervers de ce genre de
relation à trois, on le ressent bien.
Marie
I : Il arrive tout de même à créer une putain d'ambiance.
L'enfermement de Murielle, son mal être, c'est un truc qui t'étouffe
petit à petit.Je crois que ça vient du surcadrage. C'est un truc qu'il utilisait beaucoup dans Nue Propriété, le cadrage comme rappel du domicile prison. Et puis, le Doc qui en soi ne fait rien de mal (à part
oublier que le Maroc n’est plus une colonie française) mais qui
dérange de plus en plus. Même Mounir, auquel t’as pas accroché…
Marie II : Oui je suis
d'accord.
Marie
I : C'est ça le cinéma, parvenir à faire ressentir des émotions
à travers le sale écran de ton UGC de quartier. Et je ne sais pas
comment il a fait parce que c'est vrai que la mise en scène n'est
pas bandante. Mais c'est peut-être justement là tout le talent.
Elle n'est jamais visible. Il laisse ses personnages s'enfoncer dans
leur merde. Et le spectateur s'enfoncer dans son fauteuil.
Marie I : Par contre, question montage, je capte pas pourquoi il a commencé son
film par les cercueils à l'aéroport.
Marie II : Pour finir
sur son plan hors champ ...
Marie
I : Mais il aurait pu finir sur son plan hors champ de toute
façon.
Marie II : Alors pour
bien mettre dans l'ambiance. Et vas-y que j'te montre quatre petits
cercueils.
![]() |
La deuxième affiche du
film est nettement moins joyeuse …
et du coup bien plus
représentative
(vous la sentez bien
l’oppression?)
|
Marie
I : En fait, pourquoi pas commencer par Muriellele à l'hosto
mais pourquoi le plan à l'aéroport?
Marie II : Pour
montrer que Muriellele a eu ce qu'elle voulait, les gosses vont au
Maroc … Du coup on se dit : Mais pourquoi elle veut qu'ils
aillent au Maroc ? Et après on comprend que c'est elle l'arabe
dans l'âme.
Marie
I : C'est pas parce que tu te trimballes en Djellaba que t'es arabe
dans l'âme.
Marie II : Arabe dans
l'âme parce que le Maroc pour elle c'est l'évasion, tellement sa
vie c'est de la merde. Elle se sent tellement enfermée qu'elle
trouve qu'un pays rétrograde rempli de femmes soumises c'est encore
mieux que sa vie.
Marie II : La
djellaba, le fait qu'elle désire emménager au Maroc, sa joie quand
elle y va en vacances, les gosses qu'elle veut enterrer là bas …
Sa relation avec sa belle-mère.
Marie I : Ouais, la seule qui soit un peu sympa avec elle. Ça, j'aimais
bien. C’est un beau personnage. Comme par hasard, la seule qui a un
peu d’empathie pour elle, c’est l’autre mère du film…
Marie II : Ouais
d'ailleurs à l'aéroport, le fameux câlin final, tu sens que la
belle-mère comprend ... Et le malaise dans la salle de bain. Grosse
blague !
Marie
I : Ouais, gros gros lol.
Marie II : « J'ai
vu la mort ». Belle anticipation !
Marie
I : Ah ouais, haha ! C'était très subtil.
Marie II : Magnifique,
j'ai ri.
Marie
I : Ces indigènes, quand même, ils sont peut-être pas aussi
civilisés que nous mais ils sentent des choses.
Marie II : Ouais, ils sont
forts.
Marie
I : Sinon, j'ai adoré l'utilisation de la musique de fosse. Ça
joue énormément dans la montée du sentiment de malaise, je trouve.
C'était placé à des endroits surprenants et en même temps qui se
justifiaient par après.
Marie II : C'est
probablement honteux mais je ne peux pas réagir à cette remarque.
Je dormais pendant le cours de son.
Marie
I : Et bien figure-toi que c'est essentiellement Mentre
io Godo in dolce oblio d'Alessandro
Scarlatti qui est utilisé pour ponctuer les plans forts. Pur
leitmotiv, hyper prenant, qui conditionne le pathos du spectateur.
Grand !
Y a
aussi le Stabat Mater
d'Haydn qui intervient. Et selon Wikipédia : « Stabat
Mater est une séquence composée au treizième siècle et attribuée
au franciscain italien Jacopone da Todi. (…) La fête associée à
cette séquence est celle de Notre-Dame des douleurs (15 septembre),
mais aujourd'hui, elle est rarement chantée. Le texte de la séquence
évoque la souffrance de Marie lors de la crucifixion de son fils
Jésus-Christ. Le titre est un incipit, en quelque sorte une
abréviation de Stabat mater dolorosa, son premier vers, que l'on
peut traduire ainsi : «
La Mère douloureuse se tenait
debout… » »
Marie II : Question
con, elle n'a pas tué 5 gosses, Lhermitte ?
Marie
I : Ben si, c'est pour ça que c'est UNE FICTION.
Marie II : En même
temps, ce film est déjà tellement chiant avec 4 gosses, alors 5 ...
Marie I : A mon avis, ouais, c'est ce qui a dû orienter le choix... Déjà
faire naître et mourir quatre moutards en une heure quarante,
c'était pas une sinécure. Surtout pour Lafosse qui pratique pas
blindé l’ellipse dans ses précédents films. Nue
Propriété, c’est carrément de
l’anti-ellipse. Ici, il a dû faire un effort pour faire entrer
autant d’action en si peu de temps. Exit le plan fixe, caméra plus portée, plus vivante
que dans les autres films. Sauf à la fin, bien sûr…
Marie II : J'adore la
petite qui grimpe l'escalier à quatre pattes.
Marie I : Tu es un monstre.Tu es une Martin-Lhermitte.
Marie I : A ce propos, j'aime bien cette citation de Lafosse dans un article des
Inrocks
:
« En
Belgique, on m’a souvent demandé ce qui était vrai ou faux dans
le film. Mais on s’en fout !
A
partir du moment où la réalité est toujours périmée, un film est
toujours une fiction, une
subjectivité,
une élaboration. La réalité, les historiens et les chroniqueurs
judiciaires s’en chargent.
Je
suis plus dans la question de la justesse que dans celle de la
vérité. La vérité des faits n’est pas
forcément
celle des êtres et vice-versa. Il y a un inconscient, autre chose
derrière les faits et les
actes.
C’est ce que vous avez compris en France avec l’affaire Courjault
(Véronique Courjault
a
tué ses trois enfants à la naissance et a congelés les corps –
ndlr). Nous, en Belgique, depuis
l’affaire
Dutroux, on veut pointer du doigt le monstre, ça rassure. Sauf que
ça ne fait pas une
civilisation. »
Marie II : Oui,
j'aime bien. Et je suis d'accord avec lui. Mais son film n'est pas
"juste", il est juste chiant.
Marie I : Mazette, on dirait du Godard.
Marie II : A la fin
de la séance, je me suis demandée où était l'intérêt de ce film
qui jamais ne parvient à dépeindre un semblant de relation
intéressante, crédible. Et qui en ne voulant privilégier aucun
point de vue en particulier n'en a du coup aucun. Pourquoi ce film ?
Si au moins Dequenne était filmée façon Rosetta, pleine de tension
... Mais non, la réal est plate comme Charlotte Gainsbourg. Plate
comme cette histoire de meuf paumée qui fait des gosses comme on se
rend aux chiottes. A perdre mon pognon, c'est tout.
Marie I : Je persiste, le choix de la réalisation est pas mal.
Lafosse ne pouvait pas singer les Dardenne parce que Muriellele est
complètement différente de Rosetta, c’est même l’inverse. (pas
de bol, je viens de revoir le film à l’instant). Rosetta est en
colère contre le monde entier, c’est un roc, une bombe prête à
exploser partout, d’ailleurs elle court partout. Elle est toujours
en mouvement. C’est pour ça que la caméra des Dardenne ne pouvait que la suivre à l’épaule. Il fallait qu’on soit toujours
dans le chaos, à l’image du personnage. Murielle, elle, n’est
pas en colère contre le monde. Elle pourrait mais elle ne l’est
pas. Là où Rosetta ne semble éprouver aucune culpabilité à faire
des coups de pute pour rester en vie, Murielle se charge de tous
les maux et sombre dans l’apathie culpabilisante. Pour cela, il
fallait que la caméra reste extérieure. C’est marrant, il y a
toujours des surcadrages avec l’encadrement des portes. Comme si la
caméra devait rester à distance du drame. Il y a beaucoup moins de
très gros plans sur la face à Dequenne. Même s’il me semble que
le réalisateur s’appesantit pas mal sur son visage dans les moments "forts"…
Si tu es arabe, et que
tu viens de lire cette discussion, tu as le droit d'être vexé et de
nous insulter, on adore ça. Si j'étais Nadine Morano, je t'aurais
répondu : « Nous ne sommes pas racistes, Marie I est
arabe ». Mais je ne suis pas Nadine Morano, je ne suis que Marie II ...
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