dimanche 16 septembre 2012

Cherchez Hortense, cherchez l'aigreur, bref cherchez qui vous voudrez.

Monologue

Alors, voilà. Soirée pantouflarde dominicale en perspective. Bien calée devant mon ordi pour taper cette critique à laquelle je promets de m’atteler depuis trop longtemps. Bien calée devant le téléviseur en parallèle pour mater en stoemelings The Departed sur TF1 afin de ne pas totalement perdre ma soirée. Ponctuelle comme je ne peux l’être qu’avec mes rancards cinématographiques, je me chope les publicités beaufs, suivies de la météo gay et chauve d’un costar cravate fleuri trop affable. Et là, BAM, une annonce pour Le Bonheur des Dupré, une comédie franco-française abrutissante de bons sentiments et de gags pas drôles dont la minute de lancement m’assomme sur le champ. Je chancèle. Et puis, re-BAM, la cravate chauve nous souhaite une bonne soirée avec La Septième compagnie, en hommage à feu Cordier père. Exit donc The Departed, changement de programme de dernière minute pour cause de nullité nationale. Je décède.


Ce genre de dégueulasserie popopulo, ça me rappelle pourquoi il faut des films comme Cherchez Hortense: pour relever un peu le niveau de la production française qui a tendance à trop souvent se vautrer dans la veulerie vaudevillesque gros public. Les amateurs du genre me rétorqueront sans doute que ouais mais Hortense pèche par excès de boboïtude parigote, tout aussi clichée que son pendant Ch’ti. Pas faux. Mais une chose est de téléguider des poncifs protagonistes, une autre est d’en faire un film cliché. Faux pas. Que Pascal Bonitzer évite avec bonheur. Malgré cela, les vomisseurs de bobos risquent d'avoir du mal...

Le couple formé par Iva (Kristin Scott Thomas) et Damien (Jean-Pierre Bacri) campe le modèle standard de la famille bobo parisienne. Madame est metteuse en scène, rentre tard car elle est occupée à monter une pièce de Tchekhov, fume trop et se fait draguer par son jeune acteur pas moche. Monsieur est professeur de culture asiatique, lit Le Monde, se fait draguer par une jeune plongeuse pas moche (Isabelle Carré) et est accessoirement descendant de Conseiller d’Etat (Claude Rich). Of course, ils ne sont pas mariés. Et of course, ils ont un moutard binoclard « qui a lu le Petit Prince à 6 ans », comme raclerait Renaud, et qui parle intelligent à 12 ans. Voilà pour les personnages.

Leur histoire est simple, voire banale, c’est-à-dire prise de tête existentielle en langage delermien. Des amis d’Iva demandent à Damien un service : demander un service à son père. Ca a l’air de rien mais c’est pas évident de quémander au Conseiller d’Etat de passer un coup de fil qui pourrait sauver la mise à une immigrée balkanique. Damien râle, hésite, tente vaguement d’avoir une conversation avec son insupportable géniteur mais rien n’y fait. Cela ne l’empêche pas de passer pour un héros quelques quiproquos plus loin et en même temps de voir sa vie se disloquer. 

Zou, la bande-annonce officielle pour ceux que ça intéresse... 


De rebondissement en rebondissement, Damien persévère dans une lâcheté matinée de procrastination. De plus en plus fripé, il traîne ses désabus aux coins de Paris, au bistrot des copains, au resto japonais, au Conseil d’Etat, dans son appartement branché où il doit bien sauver la face devant une progéniture en mal de mère. C’est toute la beauté du personnage de Bacri. Un homme lucide de ses faiblesses voudrait se laisser glisser ; se laisse d’ailleurs glisser, balade sa torpeur au gré de ses mauvaises humeurs (Bacri, quoi), mais remonte tout de même à la surface tous les soirs pour assurer son rôle de père, nourrir son gamin, lui faire répéter ses leçons, éteindre sa lampe de chevet et l’engueuler de temps en temps pour la forme.

La presse est unanime sur un point. Bacri est magnifique. Il endosse la parka râpée de Damien avec une justesse épatante. Alors, forcément, on dira que le mec à Jaoui se cantonne toujours au répertoire du sale type bougon. Peut-être. Mais il faut lui reconnaître une sélectivité de qualité dans les rôles qu’il accepte et si c’est souvent dans le même registre, il faut reconnaître qu’il y excelle. Et puis, ici, Bonitzer lui offre un rôle en or. Le personnage de Damien passe par tous les états d’esprit et permet à Bacri de faire étalage d’une palette d’émotions plus large qu’il n’y paraît au premier abord. On a droit à Damien l’irascible, Damien papa cool, Damien papa inquiet, Damien cocu, Damien angoissé, Damien intrigué, Damien timide, Damien lâche, Damien courageux, Damien fils indigne, Damien amoureux, Damien digne, Damien pathétique, etc. Mine de rien, Pascal Bonitzer donne à voir un transit intérieur via moult situations plus ou moins cocasses qui s’entrecroisent de façon plus ou moins cocasse, le tout ficelé de main de maître (pour une fois qu’on n’a pas que des scènes prétextes à gags grossiers, ça fait plaisir). Au milieu de ce capharnaüm, Bacri rayonne.




Il n’est pas le seul. Claude Rich est excellentissime en tante paternelle hautaine, volage, volatile, orgueilleuse, bref imbuvable. Isabelle Carré et Kristin Scott Thomas sont toutes les deux étincelantes, comme autant de contrepoints à la déchéance physique de l’ami Jean-Pierre.

Le film tient beaucoup par ses acteurs. Leur jeu est juste parce que les dialogues sont justes. Les dialogues sont justes parce que les personnages sont consistants. Bonitzer ausculte l’humanité version VIe arrondissement avec une finesse savoureuse, même s’il surfe parfois maladroitement sur la bien-pensance gaucho. Sa mise en scène n’est pas remarquable mais elle a le mérite d’être efficace. L’ouverture en mise en abyme méta-filmique est assez délectable, même si déjà vue. Le happy end de fin m’est par contre plus resté en travers de la gorge. Mais c’est une question de goût.

Reste le titre, mystérieux à souhait, compréhensible qu’après vision du film. J’aime ces titres fantomatiques qui hantent les films et se révèlent au détour d’un plan, lorsque la garde du spectateur est baissée. Alors s’élève le « Haaaa » satisfait de l’avidité repue. Jouissance supplémentaire ici car d’après Les Inrocks, le titre fait référence au poème H, de Rimbaud, ode à la masturbation qui se termine par cette phrase « Trouvez Hortense ». Bien des gloseurs se sont cassé les dents sur cette mystérieuse Hortense. Chez Bonitzer, c’est plus simple mais tout aussi surprenant. Il faut aller voir ce film. En attendant, je vous laisse méditer sur les sages paroles de l’onaniste Rimbaud…

Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d'une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l'ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. - O terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l'hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.

Marie I

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