Monologue
Alors, voilà. Soirée pantouflarde dominicale en perspective. Bien calée
devant mon ordi pour taper cette critique à laquelle je promets de m’atteler
depuis trop longtemps. Bien calée devant le téléviseur en parallèle pour mater
en stoemelings The Departed sur TF1 afin
de ne pas totalement perdre ma soirée. Ponctuelle comme je ne peux l’être
qu’avec mes rancards cinématographiques, je me chope les publicités beaufs,
suivies de la météo gay et chauve d’un costar cravate fleuri trop affable. Et
là, BAM, une annonce pour Le Bonheur des
Dupré, une comédie franco-française abrutissante de bons sentiments et de
gags pas drôles dont la minute de lancement m’assomme sur le champ. Je
chancèle. Et puis, re-BAM, la cravate chauve nous souhaite une bonne soirée
avec La Septième compagnie, en hommage à feu Cordier père. Exit donc The Departed, changement de programme de
dernière minute pour cause de nullité nationale. Je décède.
Ce genre de dégueulasserie popopulo, ça me rappelle pourquoi il faut des
films comme Cherchez Hortense: pour
relever un peu le niveau de la production française qui a tendance à trop
souvent se vautrer dans la veulerie vaudevillesque gros public. Les amateurs du
genre me rétorqueront sans doute que ouais mais Hortense pèche par excès de
boboïtude parigote, tout aussi clichée que son pendant Ch’ti. Pas faux. Mais
une chose est de téléguider des poncifs protagonistes, une autre est
d’en faire un film cliché. Faux pas. Que Pascal Bonitzer évite avec bonheur. Malgré cela, les vomisseurs de bobos risquent d'avoir du mal...
Le couple formé par Iva (Kristin Scott Thomas) et Damien (Jean-Pierre
Bacri) campe le modèle standard de la famille bobo parisienne. Madame est
metteuse en scène, rentre tard car elle est occupée à monter une pièce de Tchekhov,
fume trop et se fait draguer par son jeune acteur pas moche. Monsieur est professeur
de culture asiatique, lit Le Monde,
se fait draguer par une jeune plongeuse pas moche (Isabelle Carré) et est accessoirement
descendant de Conseiller d’Etat (Claude Rich). Of course, ils ne sont pas
mariés. Et of course, ils ont un moutard binoclard « qui a lu le Petit Prince à 6 ans », comme raclerait
Renaud, et qui parle intelligent à 12 ans. Voilà pour les personnages.
Leur histoire est simple, voire banale, c’est-à-dire prise de tête
existentielle en langage delermien. Des amis d’Iva demandent à Damien un
service : demander un service à son père. Ca a l’air de rien mais c’est
pas évident de quémander au Conseiller d’Etat de passer un coup de fil qui
pourrait sauver la mise à une immigrée balkanique. Damien râle, hésite, tente
vaguement d’avoir une conversation avec son insupportable géniteur mais rien
n’y fait. Cela ne l’empêche pas de passer pour un héros quelques quiproquos
plus loin et en même temps de voir sa vie se disloquer.
Zou, la bande-annonce officielle pour ceux que ça intéresse...
De rebondissement en rebondissement, Damien persévère dans une lâcheté
matinée de procrastination. De plus en plus fripé, il traîne ses désabus aux
coins de Paris, au bistrot des copains, au resto japonais, au Conseil d’Etat,
dans son appartement branché où il doit bien sauver la face devant une
progéniture en mal de mère. C’est toute la beauté du personnage de Bacri. Un
homme lucide de ses faiblesses voudrait se laisser glisser ; se laisse
d’ailleurs glisser, balade sa torpeur au gré de ses mauvaises humeurs (Bacri,
quoi), mais remonte tout de même à la surface tous les soirs pour assurer son
rôle de père, nourrir son gamin, lui faire répéter ses leçons, éteindre sa
lampe de chevet et l’engueuler de temps en temps pour la forme.
La presse est unanime sur un point. Bacri est magnifique. Il endosse la
parka râpée de Damien avec une justesse épatante. Alors, forcément, on dira que
le mec à Jaoui se cantonne toujours au répertoire du sale type bougon.
Peut-être. Mais il faut lui reconnaître une sélectivité de qualité dans les
rôles qu’il accepte et si c’est souvent dans le même registre, il faut
reconnaître qu’il y excelle. Et puis, ici, Bonitzer lui offre un rôle en or. Le
personnage de Damien passe par tous les états d’esprit et permet à Bacri de
faire étalage d’une palette d’émotions plus large qu’il n’y paraît au premier
abord. On a droit à Damien l’irascible, Damien papa cool, Damien papa inquiet,
Damien cocu, Damien angoissé, Damien intrigué, Damien timide, Damien lâche,
Damien courageux, Damien fils indigne, Damien amoureux, Damien digne, Damien
pathétique, etc. Mine de rien, Pascal Bonitzer donne à voir un transit
intérieur via moult situations plus ou moins cocasses qui s’entrecroisent de
façon plus ou moins cocasse, le tout ficelé de main de maître (pour une fois qu’on
n’a pas que des scènes prétextes à gags grossiers, ça fait plaisir). Au milieu
de ce capharnaüm, Bacri rayonne.
Il n’est pas le seul. Claude Rich est excellentissime en tante paternelle
hautaine, volage, volatile, orgueilleuse, bref imbuvable. Isabelle Carré et
Kristin Scott Thomas sont toutes les deux étincelantes, comme autant de contrepoints
à la déchéance physique de l’ami Jean-Pierre.
Le film tient beaucoup par ses acteurs. Leur jeu est juste parce que les
dialogues sont justes. Les dialogues sont justes parce que les personnages sont
consistants. Bonitzer ausculte l’humanité version VIe arrondissement
avec une finesse savoureuse, même s’il surfe parfois maladroitement sur la bien-pensance
gaucho. Sa mise en scène n’est pas remarquable mais elle a le mérite d’être
efficace. L’ouverture en mise en abyme méta-filmique est assez délectable, même
si déjà vue. Le happy end de fin m’est par contre plus resté en travers de la
gorge. Mais c’est une question de goût.
Reste le titre, mystérieux à souhait, compréhensible qu’après vision du
film. J’aime ces titres fantomatiques qui hantent les films et se révèlent au
détour d’un plan, lorsque la garde du spectateur est baissée. Alors s’élève le « Haaaa »
satisfait de l’avidité repue. Jouissance supplémentaire ici car d’après Les Inrocks, le titre fait référence au
poème H, de Rimbaud, ode à la
masturbation qui se termine par cette phrase « Trouvez Hortense ».
Bien des gloseurs se sont cassé les dents sur cette mystérieuse Hortense. Chez
Bonitzer, c’est plus simple mais tout aussi surprenant. Il faut aller voir ce
film. En attendant, je vous laisse méditer sur les sages paroles de l’onaniste Rimbaud…
Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d'une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l'ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. - O terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l'hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.
Marie I
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