vendredi 7 septembre 2012

A perdre la raison, notre temps ou le vôtre

Dialogue

Ou comment ça tchatte grave entre Bruxelles et Nancy.



Marie II : Faudrait peut-être qu'on parle d'A perdre la raison ...

Marie I : FAUDRAIT OUAIS !

Marie II : Je me fais un café, j'arrive…

Marie I : Fais donc.

Marie II : Voilà. Alors ce film ?

Marie I : MAIS OUAIS, ce film ! Par quoi on commence ? Faudrait peut-être un pitch, nan ? Je veux bien m'y coller. T’auras qu’à rugir dessus

Marie II : J'attends tes mots pour rugir.

Marie I : Donne-moi quelques minutes.

Marie II : Tout le temps nécessaire pour ton cerveau lent.

Marie I : […]

Marie II : Heureusement que je bois un café, ça m'évite de m'endormir ...

Marie I : […]

Marie II : Continue à être aussi lente et je t'envoie une photo de mon chien.

Marie I : Mange ton chien et arrête de me stresser.

Marie I : Voilà voilà, c’est dans la poche. Le pitch est dans la poche... Mais ris, bon sang!

Marie II : Garbodoesn'tlaugh..

Marie I : ATTENTION PITCH :  Murielle et Mounir sont jeunes et ils s'aiment. Et ils aiment le Docteur Pinget, père adoptif de Mounir parce qu'il est riche et philanthrope. Il leur offre la tranquillité matérielle en échange insidieux de sa présence pesante dans tous les recoins de leur vie bientôt plus rose. Alors, forcément, ça pèse à la Murielle qui commence à se sentir coincée dans ce manège à trois, vu que super beau-papa s'installe avec eux. La ponte passive de quatre moutards ne va rien arranger à l'affaire. Bardaf, c'est la dépression. Et qui dit dépression, dit enfer. Et qui dit enfer, dit enfants... 

Marie II : Tout ça pour ça …

Marie II : Plus simplement : Murielle se marie à Mounir et va s'installer dans la maison incestueuse d'un médecin bedonnant. Elle fait quatre gosses qu'elle n'assume pas et finit par les tuer. 

Marie I : Ca mérite une bande-annonce, non?




Marie II : Alors, ton avis sur le film ?

Marie I : Dans ce drame inspiré du cas Lhermitte - où comment une mère en vient à tuer ses cinq enfants, sans parvenir à se tuer elle-même (cherchez l'erreur) - Joachim Lafosse nous donne à voir et à penser la descente aux enfers d'un être fascinant. Comme d'habitude, Lafosse ne juge pas. Il laisse le spectateur se faire son opinion, chercher les causes d'un acte incompréhensible, sans jamais vraiment les donner. Des indices, il en sème, certes, mais jamais il ne donne la clé. Dans sa fiction, et il faut insister sur le ce mot : FICTION, le Docteur est sans doute plus coupable que d'autres, le mari plus sinistre que d'autres, la mère plus abattue que d'autres. Mais au final, pas de mise au pilori. Le sujet est grave et complexe. Le réalisateur/scénariste s'en tire avec brio et sobriété. Les acteurs sont épatants, Emilie Dequenne en tête (on l'a assez dit), mais Niels Arestrup et Tahar Rahim ne sont pas en reste (on ne l'a pas assez dit). La mise en scène est efficace. Pas de plan de trop. A part peut-être le ridicule épisode du "Fêêêêêêêmmes, je vous aime" dans la voiture ....

Marie II : Je ne suis bien évidemment pas d'accord. A part concernant la scène de Julien Clerc… Elle pue, ça c’est sûr.

Marie I : Je pige pas l'intérêt de cette scène. Elle doit avoir une signification pourtant ... Je vais réécouter la chanson, ça va peut-être éclairer ma pauvre lanterne. Ah merde, j'ai trouvé une version avec Calo et Stanislas... Attention, ça va faire mal.




Marie II : Je pense que c'est supposé être LA scène du film. Celle qui va se différencier des autres puisque justement le reste du film est plat et sans jugement. Vu les paroles, je prends ça pour une défense de Lhermitte, du moins une tentative d'explication. Les femmes sont complexes, sensibles, etc.

Marie I : Pitié, je vais vomir.

Marie I : Remarque, c'est vrai que dans une interview sur Cinefemmes.be il avait dit que la féminité c'était un sujet qui le fascinait.


- L'homme qui a commis ce film a une tête de constipé,
un parallèle avec sa mise en scène.(Marie II)
                                        - Moi, je le trouve mignon. (Marie I)                                          

Marie II : Ou peut-être que cette scène ne sert à rien, juste à faire chialer la masse et à faire dire aux spectateurs : « oh mon dieu ! qu'elle joue bieeeen ! »

Marie I : Ben, c’est vrai qu’elle joue bien (même si pour moi pas particulièrement en chialeuse automobile). Putain de performance générale quand même. Jojo dit qu’il a été moins dirigiste avec ses acteurs sur ce tournage que sur les précédents, et que c’est la première fois qu’il avait vraiment l’impression d’être spectateur de ses acteurs... En tout cas, la Dequenne, elle a bien mérité son Prix de Meilleure Actrice à Cannes.

L'effet Julien Clerc sur les fans au Millésium d'Epernay...
L'effet Julien Clerc sur Emilie Dequenne.
Marie II : Justement, je pense vraiment que c'est une scène très mauvaise, une scène à Césars, comme la scène de la chanteuse blonde dans Shame, mais je ne sais pas si tu l'as vu.

Marie I : Non, pas encore.

Marie II : Ce film est pourri.

Marie I : Ça me donne envie de le voir, tout à coup.

Marie II : PUTE !

Marie II : Plus sérieusement, tu comprendras quand tu verras le film. Au beau milieu, une blondasse chante une chanson "émouvante", gros plan sur sa gueule pendant trois minutes, ça n'a rien à faire là, mais forcément quand t'es un peu con, tu penses : "oh c'est beau, c'est la scène que je retiendrai" Même principe pour Dequenne, il me semble.

Marie I : Pour en revenir à la scène, j’ai entendu Jojo en parler dans une interview sur La Première. Il disait que c’était le moment crucial du film où on comprend la souffrance et le basculement fatal dans la déraison. Il a fallu six prises à l’Emilie pour parvenir à la tourner, tellement c’était fort. Respect. Pleurer sur Julien Clerc, j’aurais pas pu.

Marie II : « Quelquefois si seules. Parfois elles le veulent. Oui mais ... si seules. Oui mais si seules...». Il a l'air de s'éclater Julien. En tout cas, ceci explique cela…

Marie I : Tout ce que j'en retire c'est que Julien Clerc ne connaît pas de femmes faciles. (=> « Femmes...Je vous aime… Je n'en connais pas de faciiiiiiiiiiiiiiiiiles. Je n'en connais que de fragiiiiiiiiiiiiiiles. Et difficiiiiiiiiiiles. Oui...difficiiiiiiiiiiiiles »)

Marie II : Voilà, j'ai pensé la même chose.


Sur cette affiche, Emilie Dequenne sourit, profitez-en.

Marie I : A la réflexion, j’aurais pu pleurer. Mais pas pour les même raisons…

Marie II : Visiblement, le texte a une portée maternelle : «Or, le texte porte sur le respect pour
les femmes et non sur la séduction», indique Jean-Loup Dabadie. Soucieux de rendre hommage à tous les profils, droit dans les yeux, il se plonge dans l'écriture de la chanson. Peaufine son texte. Évoque la très forte image de la mère. Cette chanson avait donc un intérêt …

Marie I : Hmmm, surtout qu’à ce moment, Muriellele a perdu toute son autonomie. Elle n’existe plus qu’en tant que mère.

Marie I : Ça vient d'où ?

Marie II : Du site du Figaro, il me semble.

Marie I : On t'a pas appris à citer tes sources à l'unif ?

Marie II : On ne m'a rien appris à l'unif.

Marie I : C'est bien ce que je pensais.

Marie II : Fin de l’intermède musical et retour à nos moutons donc à Lafosse … Ok, il ne juge pas, et dans le fond j'approuve le principe, mais du coup c'est supra chiant, je persiste. Si au moins la mise en scène claquait … mais non ! Il crée une ambiance lourde - on comprend vu le sujet - mais du coup c'est lourd pour le spectateur, tout est lourd, et il me semble que c'est pas ça le cinéma. Comme s'il avait eu peur qu'on lui reproche de prendre parti, de victimiser la mère ou de pas suffisamment incriminer le docteur ou le mari.

Marie II : Du coup tout est traité en surface.

Marie I : Mais y a pas à incriminer le Doc ! Je pense que ce qui intéresse Lafosse dans ce fait divers, c’est le terreau possible pour faire pousser ses thèmes de prédilection, à savoir les relations familiales, le respect des limites d’autrui, la manipulation, la perversion. Je l’ai entendu dire à la radio qu’il voulait simplement faire un film avec un gros gros package émotionnel mais avec de la réflexion. Et le côté pervers de ce genre de relation à trois, on le ressent bien.

Marie I : Il arrive tout de même à créer une putain d'ambiance. L'enfermement de Murielle, son mal être, c'est un truc qui t'étouffe petit à petit.Je crois que ça vient du surcadrage. C'est un truc qu'il utilisait beaucoup dans Nue Propriété, le cadrage comme rappel du domicile prison. Et puis, le Doc qui en soi ne fait rien de mal (à part oublier que le Maroc n’est plus une colonie française) mais qui dérange de plus en plus. Même Mounir, auquel t’as pas accroché…

Marie II : Oui je suis d'accord.

Marie I : C'est ça le cinéma, parvenir à faire ressentir des émotions à travers le sale écran de ton UGC de quartier. Et je ne sais pas comment il a fait parce que c'est vrai que la mise en scène n'est pas bandante. Mais c'est peut-être justement là tout le talent. Elle n'est jamais visible. Il laisse ses personnages s'enfoncer dans leur merde. Et le spectateur s'enfoncer dans son fauteuil.

Marie I : Par contre, question montage, je capte pas pourquoi il a commencé son film par les cercueils à l'aéroport.

Marie II : Pour finir sur son plan hors champ ...

Marie I : Mais il aurait pu finir sur son plan hors champ de toute façon.

Marie II : Alors pour bien mettre dans l'ambiance. Et vas-y que j'te montre quatre petits cercueils.


La deuxième affiche du film est nettement moins joyeuse …
et du coup bien plus représentative
(vous la sentez bien l’oppression?)

Marie I : En fait, pourquoi pas commencer par Muriellele à l'hosto mais pourquoi le plan à l'aéroport?

Marie II : Pour montrer que Muriellele a eu ce qu'elle voulait, les gosses vont au Maroc … Du coup on se dit : Mais pourquoi elle veut qu'ils aillent au Maroc ? Et après on comprend que c'est elle l'arabe dans l'âme.

Marie I : C'est pas parce que tu te trimballes en Djellaba que t'es arabe dans l'âme.

Marie II : Arabe dans l'âme parce que le Maroc pour elle c'est l'évasion, tellement sa vie c'est de la merde. Elle se sent tellement enfermée qu'elle trouve qu'un pays rétrograde rempli de femmes soumises c'est encore mieux que sa vie.

Marie I : Tu sais ce qu'il te dit le pays rétrograde?

Marie II : La djellaba, le fait qu'elle désire emménager au Maroc, sa joie quand elle y va en vacances, les gosses qu'elle veut enterrer là bas … Sa relation avec sa belle-mère.

Marie I : Ouais, la seule qui soit un peu sympa avec elle. Ça, j'aimais bien. C’est un beau personnage. Comme par hasard, la seule qui a un peu d’empathie pour elle, c’est l’autre mère du film…

Marie II : Ouais d'ailleurs à l'aéroport, le fameux câlin final, tu sens que la belle-mère comprend ... Et le malaise dans la salle de bain. Grosse blague !

Marie I : Ouais, gros gros lol.

Marie II : « J'ai vu la mort ». Belle anticipation !

Marie I : Ah ouais, haha ! C'était très subtil.

Marie II : Magnifique, j'ai ri.

Marie I : Ces indigènes, quand même, ils sont peut-être pas aussi civilisés que nous mais ils sentent des choses.

Marie II : Ouais, ils sont forts.

Marie I : Sinon, j'ai adoré l'utilisation de la musique de fosse. Ça joue énormément dans la montée du sentiment de malaise, je trouve. C'était placé à des endroits surprenants et en même temps qui se justifiaient par après.

Marie II : C'est probablement honteux mais je ne peux pas réagir à cette remarque. Je dormais pendant le cours de son.

Marie I : Et bien figure-toi que c'est essentiellement Mentre io Godo in dolce oblio d'Alessandro Scarlatti qui est utilisé pour ponctuer les plans forts. Pur leitmotiv, hyper prenant, qui conditionne le pathos du spectateur. Grand ! 
Y a aussi le Stabat Mater d'Haydn qui intervient. Et selon Wikipédia : « Stabat Mater est une séquence composée au treizième siècle et attribuée au franciscain italien Jacopone da Todi. (…) La fête associée à cette séquence est celle de Notre-Dame des douleurs (15 septembre), mais aujourd'hui, elle est rarement chantée. Le texte de la séquence évoque la souffrance de Marie lors de la crucifixion de son fils Jésus-Christ. Le titre est un incipit, en quelque sorte une abréviation de Stabat mater dolorosa, son premier vers, que l'on peut traduire ainsi : « La Mère douloureuse se tenait debout… » »

Marie II : Question con, elle n'a pas tué 5 gosses, Lhermitte ?

Marie I : Ben si, c'est pour ça que c'est UNE FICTION.

Marie II : En même temps, ce film est déjà tellement chiant avec 4 gosses, alors 5 ...

Marie I : A mon avis, ouais, c'est ce qui a dû orienter le choix... Déjà faire naître et mourir quatre moutards en une heure quarante, c'était pas une sinécure. Surtout pour Lafosse qui pratique pas blindé l’ellipse dans ses précédents films. Nue Propriété, c’est carrément de l’anti-ellipse. Ici, il a dû faire un effort pour faire entrer autant d’action en si peu de temps. Exit le plan fixe, caméra plus portée, plus vivante que dans les autres films. Sauf à la fin, bien sûr…

Marie II : J'adore la petite qui grimpe l'escalier à quatre pattes.

Marie I : Tu es un monstre.Tu es une Martin-Lhermitte.

Marie I : A ce propos, j'aime bien cette citation de Lafosse dans un article des Inrocks :

« En Belgique, on m’a souvent demandé ce qui était vrai ou faux dans le film. Mais on s’en fout !
A partir du moment où la réalité est toujours périmée, un film est toujours une fiction, une
subjectivité, une élaboration. La réalité, les historiens et les chroniqueurs judiciaires s’en chargent.
Je suis plus dans la question de la justesse que dans celle de la vérité. La vérité des faits n’est pas
forcément celle des êtres et vice-versa. Il y a un inconscient, autre chose derrière les faits et les
actes. C’est ce que vous avez compris en France avec l’affaire Courjault (Véronique Courjault
a tué ses trois enfants à la naissance et a congelés les corps – ndlr). Nous, en Belgique, depuis
l’affaire Dutroux, on veut pointer du doigt le monstre, ça rassure. Sauf que ça ne fait pas une
civilisation. »

Marie II : Oui, j'aime bien. Et je suis d'accord avec lui. Mais son film n'est pas "juste", il est juste chiant.

Marie I : Mazette, on dirait du Godard.

Marie II : A la fin de la séance, je me suis demandée où était l'intérêt de ce film qui jamais ne parvient à dépeindre un semblant de relation intéressante, crédible. Et qui en ne voulant privilégier aucun point de vue en particulier n'en a du coup aucun. Pourquoi ce film ? Si au moins Dequenne était filmée façon Rosetta, pleine de tension ... Mais non, la réal est plate comme Charlotte Gainsbourg. Plate comme cette histoire de meuf paumée qui fait des gosses comme on se rend aux chiottes. A perdre mon pognon, c'est tout.

Marie I : Je persiste, le choix de la réalisation est pas mal. Lafosse ne pouvait pas singer les Dardenne parce que Muriellele est complètement différente de Rosetta, c’est même l’inverse. (pas de bol, je viens de revoir le film à l’instant). Rosetta est en colère contre le monde entier, c’est un roc, une bombe prête à exploser partout, d’ailleurs elle court partout. Elle est toujours en mouvement. C’est pour ça que la caméra des Dardenne ne pouvait que la suivre à l’épaule. Il fallait qu’on soit toujours dans le chaos, à l’image du personnage. Murielle, elle, n’est pas en colère contre le monde. Elle pourrait mais elle ne l’est pas. Là où Rosetta ne semble éprouver aucune culpabilité à faire des coups de pute pour rester en vie, Murielle se charge de tous les maux et sombre dans l’apathie culpabilisante. Pour cela, il fallait que la caméra reste extérieure. C’est marrant, il y a toujours des surcadrages avec l’encadrement des portes. Comme si la caméra devait rester à distance du drame. Il y a beaucoup moins de très gros plans sur la face à Dequenne. Même s’il me semble que le réalisateur s’appesantit pas mal sur son visage dans les moments "forts"…


Si tu es arabe, et que tu viens de lire cette discussion, tu as le droit d'être vexé et de nous insulter, on adore ça. Si j'étais Nadine Morano, je t'aurais répondu : « Nous ne sommes pas racistes, Marie I est arabe ». Mais je ne suis pas Nadine Morano, je ne suis que Marie II ...

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